Al-Zarqa 1995
La mission archéologique d'al-Zarqa s'est déroulée
du 10 janvier au 23 février 95. La fouille proprement dite a commencé
le 10 janvier pour se terminer le 10 février. Les membres de la
mission étaientÝ: Hélène Cuvigny (papyrologue, chef
de chantier), Adam Bülow-Jacobsen (papyrologue), Jean-Pierre Brun
(archéologue), Jean-Luc Fournet (papyrologue) Marie-Agnès
Matelly (archéologue), Martine Leguilloux (archéozoologue),
Khaled Zaza (dessinateur), Caroline Magdelaine (helléniste). La
mission était accompagnée des inspecteurs délégués
par le Conseil supérieur des Antiquités de l'Égypte,
messieurs Yahya abd-el-Alim et Mohammed Abbas.
Bilan archéologique
Cette seconde campagne visait à terminer la fouille du dépotoir
commencée l'an dernier et à compléter les données
déjà recueillies sur l'architecture et la chronologie du
fortin.
Rappelons que le dépotoir, qui couvrait en 1994 600 m2 environ
pour une hauteur variant de 0,10 m à 1,30 m, avait été
divisé en carrés de 5 m de côté numérotés
de 1 à 47. Cette année, les carrés 4, 13, 23, 33,
43, 14, 24, 34, 44, 5, 15, 25 et 16, soit 350 m2 environ, ont été
totalement enlevés selon la méthode stratigraphique (fig.
1).
La bordure nord du dépotoir recouvrait un alignement de pièces
où la couche d'occupation était mince et pauvre en déchets,
mais dont la durée d'utilisation fut assez longue pour que des remaniements
soient effectués. Il ne s'agit donc pas simplement de baraquements
provisoires construits pour abriter les soldats pendant qu'ils édifiaient
le fortin. Ce serait plutôt une installation antérieure au
fort, reconvertie en logement provisoire pendant sa construction et qui
servit finalement de carrière pendant la dernière phase de
celle-ci (fig. 2).
La destruction de ces baraquements fut suivie de rejets d'ordures apportées
depuis le fort. La stratigraphie, très complexe puisque formée
de lentilles superposées, demandera une analyse poussée pour
établir un phasage (cette analyse est en cours et se fonde sur un
repérage, que permettent essentiellement les recoupements onomastiques
et l'étude des mains, des différents dossiers d'ostracaÝ;
en l'état actuel de l'étude, une cinquantaine de «dossiers»
de dimensions très variées ont été décelés
et leur stratigraphie analyséeÝ: les quatre plus importants, baptisés
respectivement, d'après un nom significatif qui y figure, dossiers
de Chaireas, de Thamara, de Kastrèsios et de Nekrys, représentent
trois périodes successives dans l'occupation du fortin)Ý; il est
toutefois clair qu'à un certain moment, il y eut une succession
de couches de cendres et de paille qui illustre deux types d'actions alternées
: le nettoyage de la cuisine et des thermes situés à l'intérieur
du fort et celui des baraquements, voire parfois d'écuries. Une
phase ultérieure est caractérisée par le rejet de
poteries cassées suivi de nouvelles couches de paille contenant
des graviers semblant provenir du nettoyage des casernements. L'épaisseur
de certaines couches du dépotoir suggère que le ménage
était loin d'être fait au jour le jour, ce que confirment
des accumulations de cendre qui n'ont jamais été nettoyées
autour des fours culinaires du sondage 153.
Le sondage 153 a eu pour but de nettoyer les fours découverts
en 1994 : deux fours accolés au mur d'enceinte et à celui
des thermes ont été construits en même temps que ces
derniers (fig. 3). Ils présentent un mode de construction particulier,
déjà observé dans les cuisines les plus tardives du
Mons Claudianus : leur parement interne est formé de pointes d'amphores
empilées (fig. 4). Au pied des fours, sous une couche d'effondrement
des murs, plusieurs sols superposés ont été mis au
jour : ils témoignent d'une utilisation intense et de longue durée.
Le sondage 152 a consisté à analyser le sol des thermes
(fig. 5). On est descendu jusqu'au sol d'un casernement dont le mur sud,
passant sous une des baignoires, a été retrouvé. Ainsi
se trouve confirmée l'hypothèse que les thermes ne faisaient
pas partie de l'état primitif du fort.
Dans l'angle sud-ouest du fort, on a procédé au vidage
d'une pièce remplie de sédiments alors que les salles voisines
sont quasi vides (ces sédiments incluaient des ostraca appartenant
aux dossiers les plus tardifs). Le remblai épais d'environ 2 m a
protégé les murs de l'érosion et a conservé
l'aspect originel des parois. Celles-ci étaient enduites d'un crépi
blanc recouvert dans un second temps d'un enduit verdâtre formé
d'argile aujourd'hui pulvérulente. Enfin, on a poursuivi un sondage,
entrepris en 1994, à l'extérieur du mur est, au débouché
d'un conduit quadrangulaire maçonné clairement destiné
à canaliser de l'eau (tirée du puits ?) vers l'extérieur.
Aucune trace de bassin ou d'abreuvoir n'a été toutefois mise
au jour (fig. 6).
Étude du mobilier de fouille faite sur le terrain
La céramique
La céramique, étudiée par J.-P. Brun, représente
l'essentiel du matériel recueilli. Les céramiques importées
sont extrêmement minoritaires : Eastern Sigillata A et B, amphores
vinaires Gauloise 4, de Cnide, Amphore Robinson F65-66, amphores
à huile d'olive d'Espagne (Dressel 20) d'Afrique (Ostia LIX ) et
de Tripolitaine (I). Les céramiques égyptiennes représentent
99% du mobilier du gisement et comprennent des lampes, de la vaisselle
et des amphores. Une dizaine de groupes, qui représentent autant
d'ateliers de production, doivent être distingués.
La faune
A travers l'étude des restes osseux, Martine Leguilloux a pu dresser
un tableau de l'alimentation carnée des soldats de Maximianon. La
viande la plus consommée était celle de porc, qui arrivait
généralement en quartiers prédécoupés
et probablement salés (l'élevage sur place, dont témoignent
quelques ostraca, était sporadique). On la consommait en petits
morceaux bouillis. Venait ensuite la viande d'ovicaprinés, dont
l'origine et le mode de cuisson étaient analogues. Les animaux de
monte et de trait, chevaux, ânes et chameaux, étaient en revanche
abattus sur place lorsqu'il fallait les réformer. Ils étaient
consommés grillés. Aucun reste de bovin ou de gibier sauvage
n'a été identifié. Le nombre minimum d'individus s'élève,
pour les porcs, à 191Ý: pour une durée d'occupation probable
d'environ un siècle, c'est peu.
Les ostraca
Environ 850 ostraca grecs et latins (et trois démotiques) ont été
enregistrés. Déchiffrés par les trois papyrologues
de la mission, qui ont pu vérifier mutuellement leurs lectures,
ces textes ont été saisis sur ordinateur par C. Magdelaine.
Il s'agit principalement de lettres privées, de dipinti amphoriques,
de tableaux de services. L'un de ceux-ci assigne les soldats à une
série de postes définis comme ìles portesî, le skopelos (tour
de guet), et les quatre angles du fortÝ (coxa), désignés
d'après le local qui s'y trouvait (l'angle du bain, du grenier,
du praetorium, du potamion). Un nouveau toponyme est apparu, Seimiou, nom
d'une des stations de la route Koptos-Myos Hormos. Une lettre nous apprend
que c'est à Persou (les carrières du wadi Hammamat) qu'on
honore la déesse Athèna. Parmi les curiosités, relevons
une liste des noms de nombres cardinaux égyptiens de un à
dix-neuf transcrits en caractères latins et un fragment de vase
globulaire dont le dipinto grec indique qu'il contenait du malabathron
(i.e. des feuilles de cannelier) à destination de Myos HormosÝ:
comme ce produit était, d'après le Périple de la mer
Rouge, récolté en Inde, on a tout lieu de penser que ce vase
échoué à Maximianon venait d'outre-mer.
Datation
À défaut de dates absolues données par les ostraca,
il faut s'en tenir aux quelques indications fournies par les monnaies,
les verres et les céramiques importées. Les plus anciens
témoins remontent à la fin du Ier siècle avant J.-C.
(une monnaie ptolémaïque, une lampe tardo-hellénistique)
et à la première moité du Ier siècle de notre
ère (un fragment d'Eastern Sigillata A, un tesson d'amphore Dressel
2/4 pompéienne, un bol côtelé en verre) : il pourrait
d'agir de mobilier "fossile". Les couches contemporaines de l'occupation
des pièces sous le dépotoir ont livré deux monnaies
de Néron qui fournit donc un terminus post quem à la constitution
du dépotoir. Pour l'essentiel, le mobilier du dépotoir est
datable du milieu du Ier siècle à la fin du IIe : monnaies
de Claude et Néron, verreries appartenant à des séries
produites à partir du milieu du Ier s. et jusqu'au début
du IIIe s. de notre ère, lampes de formes Loeschcke V et VIII, amphores
de Gaule Narbonnaise, de Cnide, d'Afrique et de Tripolitaine datables du
IIe s. Une couche de la phase primitive de constitution du dépôt
a livré une amphorette Robinson F65 portant une date du début
du IIe siècle. Dans l'état actuel des recherches, une datation
de la construction des baraques dans le troisième quart du Ier siècle,
est probable. Le fort quant à lui, pourrait avoir été
construit sous les Flaviens ou au tout début du IIe siècle
; son occupation pourrait durer jusque dans la seconde moitié du
siècle.
Inventorisation et entreposage du mobilier
Le matériel recueilli dans le dépotoir a été
trié et inventorié par M.-A. Matelly, qui se chargera de
la publication des petits objets anépigraphes. Les objets et les
ostraca ont été photographiés par A. Bülow-Jacobsen.
À l'exception des fragments d'amphore AE3 et des ossements
qui ont été enterrés, tout le matériel a été
rangé dans quatorze cantines métalliques cadenassées
et entreposé dans le magasin du Service des Antiquités à
Dendera (il existe deux jeux de clefs des cadenas, l'un conservé
à l'inspectorat de Qena, l'autre au service de documentation de
l'IFAO).
Contenu des cantinesÝZerqa 1995Ý:
cantine 1Ý: verre (inv. 1443)Ý; faïence (inv. 1444)Ý; céramique
fine (inv. 1445)Ý; objets en pierre (inv. 1446)Ý; cuir (inv. 1447)Ý; restes
végétaux (inv. 1448)Ý; bouchons anépigraphes (inv.
1449)Ý; petits objets diversÝ(n° inv. individuels) ; échantillons
de sols (inv. 1695).
cantine 2Ý: textile (inv. 1451)
cantines 3 à 9Ý: céramique (chacune de ces cantines a
reçu un n° inv. allant de 1696 à 1702.
cantine 10Ý: amphores inscrites (n° inv. individuels)
cantine 11Ý: ostraca, monnaies (n° inv. individuels)
cantine 12Ý: ostraca (n° inv. individuels)
cantine 13Ý: céramique (inv. 1710)
cantine 14Ý: céramique (inv. 1711).
DocumentationÝ:
1) archives photographiquesÝ: à l'IFAO (pour les ostraca, un jeu
de négatifs se trouve également dans l'Archive Papyrologique
Internationale à Copenhague, sous la responsabilité d'Adam
Bülow-Jacobsen).
2) relevés archéologiquesÝ: au Centre archéologique
du Var (sous la responsabilité de son Directeur, Jean-Pierre Brun,
qui exploite ce matériel)
3) Transcriptions des ostracaÝ: les transcriptions originales sur fiches
bristol faites sur le terrain sont chez Hélène Cuvigny.